[Chaire ECODEF] “Quelle politique industrielle européenne de défense face aux défis à relever ?” : Synthèse de la conférence du 2 décembre 2020

“Quelle politique industrielle européenne de défense face aux défis à relever ?” C’est sur ce thème qu’a porté la conférence annuelle de la Chaire Économie de défense – IHEDN, qui s’est tenue le 2 décembre 2020 à Paris (École militaire, amphithéâtre Foch) et a été retransmise en direct. Nous vous proposons une synthèse des débats ainsi qu’un compte rendu détaillé.

La conférence annuelle de la Chaire Économie de Défense - IHEDN intitulée « Quelle politique industrielle européenne de défense face aux défis à relever ? » s’est tenue le 2 décembre 2020 à l’amphithéâtre Foch (Ecole militaire, Paris) et a été retransmise en vidéo. Nous vous proposons une synthèse de cette conférence ainsi qu’un compte rendu plus détaillé.

Après les propos liminaires du professeur Christian de Boissieu, Président du Conseil scientifique de la Chaire et du Général de corps d’armée Patrick Destremau, Directeur de l’IHEDN et de l’Enseignement militaire supérieur (EMS), Olivier Martin, Président du Comité de pilotage de la Chaire a lancé la conférence.

La première table ronde, intitulée « Pourquoi mettre en œuvre une politique industrielle européenne de défense ? » et animée par Jean Belin (Chaire Ecodef – IHEDN), a réuni la Sénatrice Hélène Conway-Mouret, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Thomas Gomart, Directeur de l’IFRI, Camille Grand, Secrétaire général adjoint pour l’investissement de défense à l’OTAN et Antoine Bouvier, Directeur de la stratégie, des fusions-acquisitions et des affaires publiques d’Airbus.

Timo Pesonen, Directeur général de l’Industrie de défense et de l’espace à la Commission européenne est ensuite intervenu pour présenter la vision de l’Union européenne en matière de politique industrielle européenne de défense.

La seconde table ronde, intitulée « Quelle politique industrielle européenne de défense souhaitable et envisageable ? » et animée par Julien Malizard, Titulaire adjoint de la Chaire, a réuni François Mestre, Chef du Service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la DGA, Stéphane Mayer, Président du CIDEF, Philippe Duhamel, Directeur général adjoint, Systèmes de Mission de Défense de Thales, Hervé Guillou, Président du GICAN, et Kuldar Väärsi, Directeur Général de Milrem Robotics.

Florence Parly, ministre des Armées, a conclu la conférence.


Quelle politique industrielle européenne de défense face aux défis à relever ?

Cette question en recouvre deux :

  • Pourquoi mettre en œuvre une politique industrielle de défense ?
  • Pourquoi cette politique industrielle de défense peut se situer dans un cadre européen ?

Au niveau national, une politique industrielle revêt classiquement un enjeu stratégique dans les secteurs considérés (Energie, Transports, Santé, Alimentation, Défense, etc.) et un enjeu économique (emplois, exportations, aménagement du territoire). Mais la politique industrielle de défense est – dans ses objectifs et dans sa nature – différente des autres politiques industrielles car elle peut servir un objectif supplémentaire : celui de la souveraineté, que l’on peut définir par une triple liberté d’appréciation, de décision et d’action. La politique industrielle de défense doit alors apporter une réponse technologique, capacitaire et donc in fine industrielle à cet objectif de souveraineté.

Or, s’il est admis que le niveau européen doit prendre en compte les enjeux stratégiques et économiques, l’enjeu de souveraineté dans le domaine de la défense a toujours suscité le débat en Europe. Après avoir été de fait un domaine qui ne relevait que du niveau national, l’Union n’ayant pendant longtemps eu aucune prérogative en matière de défense, une évolution importante est apparue notamment depuis la publication du rapport sur la stratégie globale de l’Union en juin 2016, qui fait de l’autonomie stratégique un objectif communautaire et pas seulement un objectif de chaque État membre.

Dans ce nouveau contexte, la mise en place d’une politique industrielle européenne de défense se justifie pour des raisons de plusieurs ordres :

  • Une raison d’ordre politique :

Après la justice et la monnaie, la défense est la dernière des grandes compétences régaliennes à entrer dans le champ des réflexions à partager au niveau communautaire. Aujourd’hui, cette politique industrielle de défense est considérée, au moins par la France, comme un élément clé de la politique de défense de l’Union, composante importante d’une Europe politique autonome et souveraine. Compte tenu de la position actuelle de la plupart des partenaires européens de la France en matière de défense, l’approche doit être pragmatique et il convient de pratiquer la méthode des petits pas. De récents progrès permettent d’espérer une avancée dans ce domaine : intégration de la défense dans le portefeuille d’un commissaire Européen, lancement de l’exercice “boussole stratégique”, Fonds européen de défense, etc.

  • Une raison d’ordre stratégique :

Si l’Europe souhaite se positionner comme un pôle puissance au niveau mondial, capable de faire face aux menaces directes auxquelles elle est confrontée (nouvel âge nucléaire, djihadisme, retour des États-puissance tels que la Russie, la Turquie, la Chine, etc.), l’Europe doit prendre en main sa propre sécurité de façon plus autonome. Elle doit alors pouvoir disposer des moyens aptes à lui offrir cette autonomie d’appréciation, de décision et d’action, grâce notamment à des capacités militaires maitrisées délivrées par un outil industriel souverain, fruit d’une politique industrielle de défense à la fois nationale et européenne.

  • Une raison d’ordre économique :

Le développement de certaines capacités militaires souveraines nécessite en premier lieu l’accès à des technologies pouvant nécessiter des investissements difficilement supportables par une seule nation (ex. : semi-conducteurs). De même, leur réalisation peut nécessiter un financement conjoint de la part de plusieurs pays, aboutissant à des programmes en coopération européenne (ex. : Système de Combat Aérien Futur (SCAF), drône MALE, défense anti-aérienne longue distance, etc.).

Soulignons enfin que les dépenses de défense ne doivent pas être considérées comme un “centre de coût” mais comme un “centre de profit”. En effet, ces dépenses contribuent à assurer la sécurité des nations (dont la valeur économique difficile à mesurer est évidemment très élevée) mais stimulent en outre l’innovation, la productivité, l’exportation et le développement du tissu industriel dans son ensemble. Un consensus est même apparu sur l’effet multiplicateur des investissements dans la défense et sur leur impact sur la croissance économique. Un euro dans la défense en rapporterait ainsi 2 au bout de 10 ans.

Ainsi, la défense est devenue une priorité de l’Union européenne, bien mieux équipée aujourd’hui que par le passé, avec la création de la DG DEFIS, du Fonds européen de défense (FED) doté d’un budget – certes réduit par rapport aux premières propositions mais néanmoins conséquent – de l’ordre de 8 milliards d’Euros sur sept ans, et une coopération efficace avec l’Agence européenne de défense.

Il convient également de souligner la complémentarité entre la mise en place d’une politique industrielle européenne de défense et les objectifs de l’OTAN. En effet, cette mise en place s’inscrit dans un environnement stratégique commun et répond à une volonté partagée de ses membres de renforcer le budget consacré à la défense et de mieux répartir l’effort. De plus, cette politique industrielle ne pourra pas interférer avec l’OTAN dans la mesure où cette dernière ne développe pas de politique industrielle spécifique en la matière. En revanche, cette mise en œuvre pose un certain nombre de questions, notamment en ce qui concerne la participation des entreprises et des États tiers aux projets soutenus par le FED et l’évolution plus générale de la relation entre l’OTAN et l’UE autour de ces thématiques industrielles, technologiques et capacitaires.

L’intérêt de la mise en place d’une politique industrielle européenne de défense étant ainsi confirmé, il convient désormais de définir la nature de cette politique qu’il serait souhaitable et envisageable de mettre en œuvre. Cette politique industrielle reposera essentiellement sur une approche commune des États et une coopération entre partenaires industriels.

Il convient tout d’abord que les États s’accordent sur les capacités opérationnelles et les systèmes d’armes associés qu’ils souhaitent maitriser de façon autonome, tant au niveau de leur réalisation que de leur emploi. Si l’exercice “boussole stratégique” récemment lancé au niveau de l’UE pourrait permettre de contribuer à définir ces futures capacités opérationnelles, l’accord sur le niveau d’autonomie opérationnelle requis restera à définir entre les États. Il est clair que ce sujet soulèvera des divergences entre les pays européens, chacun n’ayant pas des besoins équivalents sur le niveau d’autonomie requis. 

Une fois ces éléments définis, les États pourront assurer, via notamment le FED :

  • le développement des innovations et des technologies nécessaires à la réalisation des futurs systèmes d’armes à développer en Europe, notamment ceux qui feront l’objet d’une coopération industrielle entre plusieurs pays ;
  • le développement des systèmes d’armes qui feront l’objet de programmes en coopération européenne.

Les conditions de succès de la coopération industrielle reposent tout d’abord sur la combinaison de plusieurs facteurs :

  • une volonté politique cohérente des pays de s’engager dans une coopération ;
  • un besoin opérationnel commun ;
  • une claire identification de ce qui est susceptible d’être partagé et un accord sur les conditions de leur partage entre les États et les industriels concernés ;
  • un environnement programmatique et financier stable, compte tenu en particulier de la durée de ces programmes ;
  • une mise en œuvre industrielle efficiente, en recourant à une approche concurrentielle, lorsque cela est possible, ou à une association de champions nationaux retenus dans leurs domaines d’excellence respectifs, tant au niveau de la maitrise d’œuvre système que des sous-systèmes et équipements.

La politique industrielle de défense européenne doit tout d’abord soutenir l’innovation sur la base d’une vision plurisectorielle englobant les besoins stratégiques dans des secteurs connexes (défense, espace, télécommunications, énergie, transports, etc.). Les maîtres d’œuvre industriels doivent également pouvoir s’appuyer sur un tissu de PME/ETI efficientes et agiles, à même de capter et faire émerger le plus tôt possible les innovations de rupture et technologies critiques nécessaires pour le développement des futurs systèmes d’armes. Or, l’environnement dans lequel opèrent les entreprises de défense est en pleine mutation : les technologies civiles, notamment numériques, sont de plus en plus utilisées dans les systèmes d’armes et l’industrie de défense européenne devrait pouvoir s’appuyer sur une industrie européenne dynamique et compétitive au niveau mondial dans le domaine de ces technologies civiles. Là encore, l’Union européenne peut avoir un rôle majeur à jouer.

Il apparait donc essentiel que les actions menées au niveau européen permettent de faire émerger ces champions européens à tout niveau en évitant l’éparpillement des compétences, en adaptant les règles d’acquisition des matériels de défense. Ces nouvelles règles devraient également permettre de prendre en compte la vitesse d’évolution des innovations et d’assurer leur insertion maitrisée au sein des systèmes d’armes sur l’ensemble de leur cycle de vie.  Le FED est ainsi un premier levier intéressant en termes de politique industrielle et de coopération. Il pourra constituer un catalyseur de la politique industrielle de défense européenne, en rationalisant notamment la politique d’acquisition via la limitation des duplications de programmes. Par sa capacité à créer des consortia, il pourra permettre l’émergence de grands groupes industriels mais aussi de sous-traitants de taille intermédiaire de haut niveau. Enfin, compte tenu de la taille du marché européen, il est essentiel que les produits développés en coopération puissent adresser le marché à l’exportation. Ainsi, l’harmonisation des politiques d’exportation entre pays européens semblant un objectif irréaliste, il convient de s’assurer que l’exportabilité des produits développés en coopération soit assurée par un accord spécifique entre les pays partenaires de cette coopération.

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